Les Impériaux, de l'Europe napoléonienne à la France post-impériale by Lignereux Aurélien

Les Impériaux, de l'Europe napoléonienne à la France post-impériale by Lignereux Aurélien

Auteur:Lignereux Aurélien [Lignereux, Aurélien]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard
Publié: 2019-09-12T09:17:09+00:00


Des impérialistes culturels ?

Le mot est lâché. Les controverses sur la portée à accorder à ce terme de civilisation imposent de s’y arrêter. Ce débat a été ouvert il y a trente ans lorsque a été posée frontalement la question de l’appropriation ou non par les fonctionnaires napoléoniens aux prises avec la diversité ethnoculturelle de l’empire (en Toscane ou en Illyrie) des cadres hérités (mémoires d’intendants, réflexion anthropologique des philosophes poursuivie par les idéologues)23. Cette façon de lier impérialisme napoléonien et ethnocentrisme français s’est heurtée à une réception très mitigée, opposant à l’idée d’une mission civilisatrice les enjeux de court terme qui guidaient la politique de Napoléon24. Cela n’a pas empêché la New Napoleonic History de se constituer autour d’un appareil notionnel ambitieux. Dans ce cadre, le pragmatisme de l’empereur n’est pas contesté, ni son cynisme, qui l’a conduit à user du thème civilisateur pour dévitaliser l’une des dynamiques révolutionnaires. Toutefois, l’empire utilitariste qu’il a bâti n’empêche pas qu’en son sein des fonctionnaires aient nourri des vues offensives, relevant de l’impérialisme culturel tout en trahissant un profond malaise, un « choc culturel », qui résonne aujourd’hui comme la marque d’une « incapacité interculturelle »25. De là, le découragement des uns et l’exaspération des autres, qui pousse à des actes arbitraires au nom même de la diffusion des Lumières26.

Il n’y a rien de plus commun que les propos sur les mœurs des populations administrées, et même sur leur hostilité au changement. Confronté à l’opposition sourde des Valaisans, le préfet Rambuteau aura cette formule : « Et plus un peuple est arriéré ou stationnaire, plus il repousse le bien qu’on lui fait27. » Cette prolixité a sa part de convention, qu’il s’agisse de répéter les lieux communs de l’imagologie, comme lorsque à Hambourg, le premier président Serre se réjouit de « cette déférence envers les chefs qui est naturelle aux Allemands28 », ou d’expliquer pour l’excuser un retard ou un échec par telle habitude invétérée des populations locales. Se laisser abuser par cette collecte de propos naturalisants reviendrait à méconnaître une leçon profonde des Colonial Studies. En matière de relations interraciales, l’essentiel est de l’ordre du non-dit et échappe par conséquent à l’historien même lorsque ce dernier croise diverses sources. De fait, ce qui ne laisse nulle trace ou presque dans les archives forme pourtant la base même de la société coloniale, à savoir ce « sens commun » que les coloniaux ont en partage, qui n’a pas besoin d’être signalé ou qui ne peut pas s’expliciter, voire qu’il ne faut pas exprimer29. Bref, il est possible qu’à s’en tenir aux considérations qui enrobent les rapports des Impériaux, on ne repère tout au plus que des codes discursifs par lesquels se diffuse un socle de représentations forgées pour ordonner ces pays annexés que les fonctionnaires français dominent sans vraiment comprendre ni maîtriser.

Ce qui fonde le caractère colonial d’un territoire soumis est l’acuité de la distinction discriminatoire entre les colons et les indigènes : à l’évidence, il n’en est rien dans l’empire napoléonien dont le mot d’ordre est la fusion.



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